Article coécrit par Weijia Cambreleng et Rodolphe Pollet et initialement publié dans le no 12 du magazine TaichiMag en 2017
L'enchaînement des « huit pièces de brocart » (ba duan jin) est certainement l’une des pratiques traditionnelles de santé les plus répandues en Chine et à travers le monde. Cependant, il se rencontre sous différentes versions d’efficacités variables. Dans cet article, nous vous présentons une version relativement méconnue issue du monastère de Shaolin. Ses fondements théoriques sont notamment exposés par l’intermédiaire du maître Shi Yongxin, qui fournit aussi quelques conseils pratiques au lecteur. Par Weijia Cambreleng et Rodolphe Pollet.
Un art ancestral toujours vivace
Notre époque connaît un développement économique et technologique inédit qui entraîne un certain nombre de conséquences. Dans le monde du travail, les pressions exercées sur les employés sont parfois sources de tensions et de stress1. D’autre part, l’augmentation de l’espérance de vie suscite des attentes légitimes de la part de la population inactive2. Pour ces différentes raisons, il devient essentiel de conserver un bien-être aussi bien physique que psychique tout au long de la vie. Parmi les différentes voies possibles, le qi gong (maîtrise du souffle), anciennement connu sous le nom de yang sheng (nourrissement du principe vital), est une pratique de santé et de bien-être aujourd'hui prisée par plusieurs millions de Chinois. Ainsi, chaque matin, des hommes et des femmes de tous âges se lèvent dès l’aurore pour exécuter un rituel composé de mouvements souples accordés avec la respiration sous le contrôle de l’esprit. L'un des exercices pour « nourrir la vie » les plus populaires se nomme « les huit pièces de brocart » (ba duan jin). En 2002, sa renommée lui a valu d'être sélectionné par un panel d’experts chargés de sa standardisation, avec yi jin jing (« transformation des muscles et des tendons »), wu qin xi (« jeu des cinq animaux »), et liu zi jue (« six sons thérapeutiques »). La séquence des « huit pièces de brocart » est bien sûr beaucoup plus ancienne ; elle remonterait à la dynastie Song (960-1279). A partir du 19e siècle, elle est attribuée plus précisément au général Yue Fei (1103-1141), aujourd’hui symbole de loyauté dans la culture chinoise. Une origine plus mythique la fait même remonter à deux des huit immortels, Zhongli Quan et Lü Dongbin. On dit aussi qu’elle servait à fortifier le corps des méditants du monastère de Shaolin.
Ba duan jin de l’intérieur de Shaolin
« Les huit pièces de brocart » renvoient à une série de huit mouvements (voir encadré) dont l’ordre et l’exécution peuvent varier selon les écoles. Elle peut notamment être pratiquée debout ou en position assise, de manière douce ou plus dure. Son efficacité varie selon la version retenue. Celle qui a été personnellement transmise au premier auteur de cet article par le moine Shi Yongxin (voir biographie) est relativement confidentielle, ancienne, car interne au monastère de Shaolin. En particulier, cette version travaille sur les vaisseaux sanguins (xuemai) grâce à des mouvements très subtils, régule la respiration, cible spécifiquement certains méridiens (jingluo), et harmonise le souffle vital et le sang (qixue). Comparée à d’autres versions, son efficacité est remarquable. Elle confère en très peu de temps une vitalité bien réelle. A l’issue de son exécution, le pratiquant ressent joie, confort, quiétude, légèreté et vigueur, aussi bien au niveau physique que mental.
L’exercice repose sur l’équilibration du yin et du yang, la régulation du triple foyer (san jiao), l’utilisation du mouvement pour atteindre la tranquillité, le travail de l’intention, la mobilisation des cinq viscères wu zang (coeur, foie, rate, poumons, reins) et des six entrailles liu fu (intestin grêle, vésicule biliaire, estomac, gros intestin, vessie, triple réchauffeur) pour calmer l’esprit originel (yuan shen). En pratique, il utilise cinq formes externes associées au mouvement (les yeux, les mains, le corps, la technique, et le pas) afin de réguler cinq formes internes d’ordre énergétique (le coeur, le foie, la rate, les poumons, et les reins). Ceci favorise la circulation du souffle vital et du sang, nourrit les cinq viscères, repousse les causes des maladies, et renforce l’énergie vitale. En d’autres termes, ce qi gong vise à prolonger la vie.
Quelques recommandations pratiques
Afin de profiter pleinement des bienfaits de cet exercice, il convient de veiller à respecter certaines règles. Ainsi, Me Shi Yongxin conseille d’attendre trente minutes après la fin d’un repas avant de commencer à pratiquer. Ensuite, il est préférable de faire précéder l’exercice d’un léger échauffement afin d’assouplir le corps. Par ailleurs, en cas de transpiration, il est essentiel de bien s’essuyer le corps afin d’éviter de prendre froid. Enfin, pour bien comprendre l’intérêt des « huit pièces de brocart », le pratiquant pourra acquérir une connaissance plus précise du système des méridiens (jing luo).
1 Selon une étude de l’agence européenne Eurofound publiée en 2007, le stress lié au travail touchait 40 millions de personnes dans l’Union Européenne.
2 Selon l’INSEE, en France en 2016, un homme (respectivement une femme) de 60 ans peut espérer vivre encore 23,2 ans (respectivement 27,6 ans).
Liste des huit mouvements selon Me Shi Yongxin
- soutenir le ciel avec les mains pour réguler le triple foyer ;
- bander l'arc à gauche et à droite comme pour viser un aigle ;
- soulever d'un côté pour réguler la rate et l'estomac ;
- regarder derrière afin de prévenir les cinq fatigues et les sept blessures ;
- tourner la tête et secouer la queue pour chasser le feu du cœur ;
- soulever les talons sept fois pour faire disparaître les cents maladies ;
- serrer les poings avec les yeux en colère afin d'accroître la force ;
- agripper les pieds avec les deux mains pour renforcer les reins.
Notez que dans sa version moderne, les positions des sixième et huitième mouvements sont échangées dans la liste. La plupart des mouvements doivent être répétés trois fois (à l’exception des quatrième et sixième mouvements), soit une durée totale pour la série d’une vingtaine de minutes.
Biographies
Shi Yongxin, de son vrai nom Wang Hongxin, est l’héritier de la 33e génération de l’école caodong (bouddhisme zen) du monastère de Shaolin. Il se forme aux arts martiaux, à la médecine traditionnelle chinoise, aux arts énergétiques, et à la calligraphie auprès des maîtres les plus réputés. Il complète son apprentissage avec la méditation auprès du grand maître Nan Huaijin. En 1985, il devient directeur du département des arts martiaux de Shaolin dans la province du Henan. Dès 1999, il voyage à Hong-Kong, en Asie, en Europe, et aux Etats-Unis. En 2002, il devient vice-président de l’école de Shaolin. Il est envoyé à Hong-Kong en 2006 pour promouvoir la culture de Shaolin. Entre 2009 et 2012, il enseigne les arts martiaux et les arts énergétiques dans l’école de Me Nan Huaijin à Suzhou (province du Jiangsu).
Weijia Cambreleng est née en Chine continentale et arrive en France en 1990. Passionnée de longue date par la méditation, le qigong, le tai-chi et le yoga, elle décide en 2013 de se consacrer à ces activités. Diplômée de l’ESSEC, elle a travaillé pendant plus de 15 ans en tant que responsable financier. Aujourd’hui, elle enseigne le tai-chi, le qi gong, le yoga, et la méditation de pleine conscience aux particuliers et aux entreprises. Elle peut être contactée pour tous renseignements ou demandes de formations à partir de son site mbsr-taichi-yoga.com.
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